Le Physique
DUALITÉ (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
Je te donne ma liberté
je te donne ma vanité
je te donne mes rêves et mes pensées
ma totale inutilité
Tu me donnes ta volonté
tu me donnes ta partialité
tu me donnes ta façon de regarder
tes désirs et tes idées
Tu t’étonnes de ma légèreté
de mon manque de lucidité
mais tu ordonnes mes excentricités
et ta culpabilité
Je me donne quelques années
avant d’être défragmenté
que ma tête un jour enfin soit prête
à accepter ma dualité
On se donne perpétuité
de fou rire d’intimité
on se donne nos inégalités
notre horizontalité
LES TRACES D’AUTRES (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
Tant d’autres peaux tant d’autres corps si près de moi
je les sens parfois mais je ne les connais pas
c’est étrange, je ne sais pas
Ce vieux manteau que j’ai acheté avec toi
qui le portait avant moi, je ne sais pas
j’y pense parfois
Cette maison où nous habitons toi et moi
qui a vécu là, reste-t-il quelque chose
de leurs vies, de leurs voix
D’autres sont en moi, en toi
je les sens parfois, je sens l’ombre de leur présence d’autrefois
ce sentiment de ne plus être soi
de porter les traces d’autres qu’on ne connaît pas
Et ton corps que d’autres ont aimé avant moi
que reste-t-il de ceux là que je ne connais pas
j’y pense parfois
S’il reste un peu de toi en eux ne vont-ils pas
en laisser dans d’autres bras, malgré le temps
malgré toi, malgré moi
ET MES MAINS (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
S’il faut encore y croire
s’il faut garder l’espoir
je veux bien, mais pourtant, je crois bien qu’il n’est plus temps
si ces instants sont rares
si l’amour est avare
les images qui me restent de tes gestes me hantent encore et j’enrage
les images qui me restent de ta rage je les déteste
pourtant tu n’es partie
que depuis ce matin
et mes mains sous la pluie pleurent et s’ennuient
et mes mains sous la pluie cherchent un abri
et mes mains sur ta vie ne sont qu’un alibi
et mes mains sur ta vie tomberont dans l’oubli
jusqu’à ce soir
HOLLYWOOD (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
Des rivières de vins de qualité
et des milliardaires bronzés toute l’année
des actrices fort bien proportionnées
et puis des caniches bien toilettés
Des piscines pour plonger tout habillé
et puis quelques biches en liberté
tout autour de la propriété
quelques barbelés électrifiés
Hollywood, holly Hollywood
ha si tout était comme à Hollywood
Hollywood, tes chewing-gum, tes salles de bains
pourquoi t’es pas à Pantin
À l’usine, à l’usine à rêver
tout le monde rêve de pointer
on imagine une ambiance survoltée
et une formidable solidarité
en tournage tout le monde est motivé
tellement heureux de faire ce beau métier
les acteurs, les techniciens, les financiers
tous ils sourient, c’est beau l’amitié
Hollywood, holly Hollywood
ha si tout était comme à Hollywood
Hollywood, tes budgets étourdissants
ho Hollywood, tes dents
Hollywood, ton 7ème art universel
ho Hollywood, tes grosses ficelles
CETTE VIE (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
Serions nous plus terre à terre
que les envies qui en nous se terrent
et nous conduisent à l’aigreur
à l’agressivité et aux erreurs
avant d’être 10 pieds sous terre
avant de se risquer en enfer
est-on sûr d’avoir ici
essayé tout ce que propose la vie
Mais si cette vie encore
se dilue dans l’à peu près et le remords
il faudra bien à un moment
trouver le temps
de visiter l’Orient,
écrire un roman,
avaler des tas de trucs marrants
ou faire des enfants
On regarde derrière soi
et on voit tout ce temps passé déjà
ça donne un peu le vertige
on se demande vers quoi on se dirige
on préfère pas y penser
on boit un coup, on se laisse aller
alors on commence à flipper
et on reboit un coup pour s’assommer
Mais si cette vie encore
se dilue dans l’à peu près et le remords
il faudra bien à un moment
trouver le temps
de partir un an,
apprendre à jouer d’un instrument,
retaper une ferme dans le Morvan
ou prendre un amant
J’AI (LE VERTIGE) (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
J’ai, j’ai le vertige
non, n’insistez pas, voyez comme je me fige
là-haut j’ai l’appel du vide
n’insistez-pas, je vous en prie, voyez comme je suis livide
Laissez-moi à terre
à la pureté de l’air je préfère l’odeur de la terre
je vous laisse les nuages les cimes les funiculaires
je me contenterai des collines, des arbres et des bords de mer
Mais j’ai, j’ai le mal de mer
non, n’insistez pas, je vous en prie, voyez de quoi j’ai l’air
là-bas j’ai la nausée je dois rester allongé
n’insistez-pas, enfin quoi, voulez-vous m’humilier
Laissez-moi à terre
à la pureté de l’eau je préfère la chaire de la terre
je vous laisse les vagues, les océans et la liberté
je me contenterai des ports, des mouettes et des rochers
OMBRE (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
Je me laisse fondre, absorbé
par cette lumière cette clarté
je veux bien être transparent
être de l’éther quelques instants
N’être plus qu’une ombre
sur le sable une tâche sombre
léger flotter un moment
N’être plus qu’un grain
de poussière presque plus rien
entre la terre et le vent
Ébloui je dois fermer les yeux
je m’allonge terrassé il se peut
que mon effort soit vain
que serais-je demain
LA POLITIQUE (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
Avant la fin, j’anticipe
je m’époumone, pour éviter les critiques
Avant la mort, je panique
je me pardonne, pour éviter l’encyclique
Si j’étais Dieu, toute la journée, je m’chanterai, des cantiques, en quantités astronomiques
si j’étais Diable, toute la journée, j’inviterai des comiques, pas drôles et pathétiques
La politique, c’est comme la mécanique
c’est pas toujours logique, parce que ça joue aussi beaucoup, sur le physique
Si ma phobie se dissipe
j’arriverai un jour à vivre vite
Si les partis participent
j’inventerai un nouveau style endémique
Si j’étais Dieu, toute la journée, j’inviterai Dionne Warwick, en quantités symphoniques
si j’étais Diable, toute la journée, j’inviterai des cyniques, à un très très grand pique-nique
La politique, c’est comme les britanniques
c’est pas toujours logique parce que ça joue aussi beaucoup sur le caustique
Mais si, la vie, n’est pas, aussi claire, que l’automne
FOU (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
Ils ont broyé mon père et ils nous l’ont fait manger
ils ont tué mes frères et ils les ont brûlé
ils m’ont empoisonné mais je me vengerai
par petits quartiers bientôt je les tuerai
Ils n’ont même pas pris la peine de nous donner des noms
là je vacille je peine mais je tiendrai bon
surtout ne rien montrer aller jusqu’au bout
pour pouvoir leur laisser des souvenirs de nous
Ensemble prions mes frères pour retrouver nos prés
où l’air était si pur et l’herbe parfumée
maintenant quand je les vois la gueule enfarinée
je leur dis : “mais qu’avez-vous donc, je vous trouve bien agités”
Ha ce joli cerveau qui fait toute leur fierté
et qui a (dé)généré tant de belles idées
par mes petites bombes je vais vous l’arranger
et sur leurs jolies tombes mes enfants fous iront chanter
Et si tu mangeais ton père, est-ce que tu ne deviendrais pas fou
et si tu mangeais ta mère…
AVANT (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
Avant l’éternité
j’attend la fin du passé
le temps nous est compté
pendant que je me fais des idées
je sens que l’absence
de sens va nous désarmer
je pense à nos destinées
qui dansent sur nos têtes de l’autre côté
Si je fini par comprendre
qu’il faut toujours se parler
pour s’entendre, pour s’aimer
me laisseras-tu attendre
le moment approprié
pour te le dire sans trembler
Je sens que l’ignorance
nous pousse à l’extravagance
l’absence d’expérience
compense pour nous la chance
FAIBLE (« Le physique», 2000)
(Jérôme Rousseaux)
Atmosphériques Éditions/Ignatub Éditions
S’unir, pour s’immuniser
mentir, mais à moitié
frémir et s’arque bouter
pour finir presqu’entier
S’il faut rire, je serai le premier
s’il faut subir, ça peut s’arranger
s’il faut fuir, je partirai à pied
pour le pire on peut me rattraper
Faible, je suis faible
dans ma chair, mes entrailles
voyez ce vide, comptez ces failles
Faible, faible, je suis faible
dans mon âme, dans mon coeur
est-ce des autres dont j’ai peur
Parler pour mieux se cacher
paraître avant de disparaître
aimer pour se rassurer
avant d’être celui que l’on prête
Tomber dans la facilité
pour contourner sa médiocrité
étaler sa générosité
pour maquiller sa propre lâcheté
Faible, je suis faible
dans ma chair, mes entrailles
voyez ce vide, comptez ces failles
Faible, faible, je suis faible
dans mon âme, dans mon coeur
est-ce des autres dont j’ai peur
Faible, je suis faible
dans ma chair, mes entrailles
voyez ce vide, comptez ces failles
Faible, faible, je suis faible
dans mon âme, dans mon coeur
j’ai peur est-ce une erreur