[e.pok]
Cette époque équivoque m’évoque
m’évoque Jackson Pollock
Des blocs de taches qui cognent
la toile bancale sous le choc
Des bouts de vie qui louent l’ennui
sous un parapluie de solitude
tu perds l’appétit, l’envie s’effrite
sous les confettis des fêtes ridicules
La terre est bonne mais on rêve du ciel
La terre est bonne mais on se rêve éternel
Des astres en plastique nous piquent les yeux
sur les écrans les enfants croient
que les dieux sont des hommes qui sourient
mais ce bonheur est un chèque en bois
Nos peurs, nos désirs, nos whiskies
nous poussent jusqu’au bord de l’Asie
et nos pieds à la boue indélébile
soulignent nos têtes imbéciles
La terre est bonne mais on rêve du ciel
La terre est bonne mais on se rêve éternel
LIRE LE MATIN
Un bruit de rêve dans mon oreille m’apaise enfin
un bout de trêve dans une forêt de vieux bouquin
un bras de terre où mes racines se nourrissent
Lire le matin
Dans cette maison d’octobre, je me sens bien
du fauteuil le pommier n’est jamais loin
et le temps s’allonge près des arbres
Lire le matin
La solitude est ici légère elle se nourrit
des siècles de vies au bord des précipices
Lire le matin
CORPS ET BIENS
Dans une pénombre agile
je déposerai cette jarre
où mes souvenirs de toi
reposent fébriles
Je volerai ce bateau
moi qui déteste la mer
j’irai me perdre enfin
dans le grand machin
J’aimais tant ton corps
il m’allait si bien
dans ses creux dans ses vagues
Je m’y noyais corps et biens
Sous la voile au vent
Entre deux continents
Je ferais comme si
Je maîtrisais le sextant
Et qu’arrive enfin
la première tempête
et que mon courage debout
rie de mon ridicule
Je n’aime pas l’océan
C’est toi en trop grand
dans ses creux dans ses vagues
Je coulerai sûrement
Si la chance me sourit
Me laisse un peu de vie
J’échouerai sur une île
Oubliée des courants
J’y bricolerai mon répits
En dépit de ce remords
Dont la mort se gausse
Sa patience est immense
J’aimais tant ton corps
il m’allait si bien
dans ses creux dans ses vagues
Je m’y noyais corps et biens
UN TRAVAIL
Un travail, est-ce que je vais savoir, est-ce que je vais pouvoir
Un travail, il faut s’appliquer, ne pas rêver, ne pas dormir
Un travail, il faut louper sa série préférée et laisser les autres vous dire Un travail
Est-ce que je vais savoir, est-ce que je vais pouvoir
Est-ce que je vais supporter, les ordres et les pauses café
L’heure qui compte, l’heure qui compte sur moi
Moisir chez moi ou se tendre là-bas, je ne sais pas
Un travail, est-ce que je vais savoir, est-ce que je vais pouvoir Un travail
Est-ce que je vais comprendre la tache
La porter comme il m’est demandé
Ne pas suivre une pensée et m’y perdre
Ne pas fixer le noeud dans le bois
Ne pas me noyer dans ma crainte Un travail
Souffrir de rien ou souffrir de trop
Souffrir des regards quoique j’en pense
Plier sous le poids du devoir et des yeux noirs.
Sortir enfin du passé (de ce que j’étais)
Mais me tenir droit, me tenir propre
Écouter, comprendre, avancer, faire
LE DÉTROIT DE BERING
Tu dois traverser la plaine du loup
t’arrêter pour la nuit au dernier village
n’oublie pas la graisse de phoque
et pour le chef le whisky et les clopes
Prends des forces, mange bien
n’oublie pas de te protéger les mains
ils te feront passer par le bois
après, ne regarde plus derrière toi
Je t’attend de l’autre côté du détroit de Bering
un bout de glace brûlant, un sentiment tenace
Je campe dans ma cabane et le temps se répète
je bouquine, je cuisine, je coupe du bois
J’ai assez de réserves pour l’hiver
tant que nos continents sont collés par le froid
Je t’attend de l’autre côté du détroit de Bering
et dans la glace je vois, nos pas qui s’embrassent
Ton Alaska, ma Sibérie
tout nous oppose, tout nous rapproche
les même neiges, les même infinis
mais différents ressentis
Une route de blanche, froide et droite
une terre gelée de tous les côtés
la même crainte de l’étreinte
et la peur de la douceur
Je t’attend de l’autre côté du détroit de Bering
dépêche toi il fait froid, j’ai quelque chose à te dire
DANS LA BARBE DE DIEU
Dans la barbe de Dieu il y a parfois des regrets
en s’arrêtant aux singes c’eut été peut-être mieux
Dans la barbe de Dieu il y a la déprime
d’être doublé d’un doigt dans la Chapelle Sixtine
Dans la barbe de Dieu il y a le bonheur
le bonheur simple et bon d’être avec le meilleur
Dans la barbe de Dieu il y a aussi le constat
d’une forme d’impuissance de lassitude non feinte
Dans la barbe de Dieu il y a quelques fleurs
petits bouts de paradis à l’abris de l’enfer
Dans la barbe de Dieu il y a le destin
qui se joue de nos peurs et nous broie de ses mains
Dans la barbe de Dieu il y a le menton
d’un grand type un peu sourd dont personne n’a fait le tour
Dans la barbe de Dieu il y a un sourire
pour un fils turbulent sur un chemin brulant
Dans la barbe de Dieu chacun de nous voit
quelque soit son histoire ce qu’il a envie de voir
Tous les textes : Jérôme « ignatus » Rousseaux